La prescription

Ce soir, j’ai fait ma première prescription. C’était pour rire oui. Pour détendre l’atmosphère plus. Parce que vous êtes entrés dans l'école avec le poids du monde sur vos épaules. Entre la course du travail, le « crush » à l’épicerie et la rencontre dans ma classe, il y a trop peu temps pour respirer. Je sais. Je comprends même.

 

Vous vous êtes assis sur la petite chaise de votre enfant, vous vous êtes excusés d'être en retard de 2 minutes. Je vous ai écouté. Vous m'avez regardé et m'avez écouté à votre tour attentivement. Et là, entre le moment où j'ai fermé l'épais dossier et votre geste d'épaule qui s'affaisse et je me suis rapprochée, vous avez ouvert la digue. Des mots dans un courant où tous les possibles ont été explorés. Des mots et des maux entremêlés. Vous avez retenu vos larmes. Je l'ai remarqué. J'ai retenu les miennes aussi. L'avez-vous remarqué? Vous m'avez fait entrer dans votre famille, dans votre intimité.  Au bout du barrage, vous vous êtes arrêtés. Vous l'avez nommé: " On est épuisés...", "On rêve parfois de partir juste nous deux sur une île déserte.", "Mais on ne ferait que dormir..".

 

À la fin de la rencontre quand le flot a dérivé vers des anecdotes, j'ai pris un post-it et j'ai écrit "Du temps pour vous 2". On a rit.   Vous avez dit merci et on s'est promis de se donner des nouvelles bientôt.

 

Je suis restée dans ma classe. Je pense à vous. Je refais le chemin de vos rapides, dans vos torrents de la vie. Je vous vois passer en canot devant l'ile déserte. Je vous vois l'espérer sans être capable d'y poser le pied. Je vous revois et je ressens une vague de reconnaissance. Vous m'avez fait confiance. Vous vous êtes livrés quitte à chavirer.

 

Je rêve du jour où je pourrai prendre du temps avec toutes mes familles comme nous venons de faire. Je rêve d'une pédagogie sociale. La version scolaire de la pédiatrie sociale du Dr Julien.

 

Je rêve et j'y crois. Tout comme cette prescription dans vos poches.