La guerre des crayons

Tu as crié que ne tu voulais pas écrire. Tu as marché la classe comme dans une prison. Tu cherchais à t’échapper. Je suis restée calme. En tout cas, de l’extérieur rien ne paraissait. “Cool as a cucumber” que je me répétais en imaginant Égide Royer habillé en coach de yoga, les deux doigts en forme de peace. J’ai presque senti l’encens et entendu les bols tibétains. Mais tu m’as ramené en hurlant: “Chicane-moi!!! Allez! Chicane-moi là!!!”. J’ai simplement dit que je voulais t’aider. “Je ne veux pas d’aide!!” Mais ça sonnait faux. Comme quand on répond machinalement  “oui” à quelqu’un qui demande “ça va?” quand on va tout croche.

 

Je t’ai laissé le temps. Le temps de circuler à travers la classe. Les petits auteurs à l’ouvrage, la langue sortie ou les yeux au plafond. J’aime ces moments.  Chacun pensait son texte. J’aidais parfois à trouver une idée et j’envoyais quelques encouragements juste pour rassurer. “Étire le mot, fais-toi confiance. Oui, c’est ça! Je le savais que tu y arriverais.” "Oh! Tu as mis le mot SUCCULENT en majuscules. C'est une amplification bien utilisée. Bravo!" Parce qu’écrire, c’est entrer à l’intérieur de soi. Dans ce qu'il y a de plus intime. C’est frôler qui on est vraiment. Ce n’est pas tout le monde qui est prêt à ça ou près de ça.

 

Mais toi, pendant ce temps, tu rageais. “Tu nous fais travailler pendant que toi tu t’amuses!” Ben au moins, j’ai l’air d’avoir du fun on dirait. J’ai pas juste l’air mon coco, j’ai du plaisir! Sinon, je ferais autre chose. J’y crois à mon rôle. J’ai encore des rêves pour l’école. Plein. Et pour chacun de mes élèves. Pour toi aussi. Si tu penses que je vais t'abandonner, tu te trompes.

 

“Pourquoi tu ne me chicanes pas. Envoueille, chicane-moi!” Tu me testes. Je ne sais pas si j’aurai passé le test à la fin de la période, mais je sais que j’ai des rêves pour toi. Ton crayon que t’as lancé, c’est ton arme la plus puissante. T’aime ça toi les armées, les combats. J’ai un rêve pour toi. Un moment donné, je souhaite que tu aimes écrire parce que tu vas comprendre que c’est puissant un crayon. Ça peut te sauver mon petit gars. Parce que je le sais que t’as des choses à dire. Plein. Bon, pour le moment, c’est tout à l’envers dans ta tête. T’as l’impression d’avoir rien à raconter. Je te comprends. Je me sens comme ça des fois aussi. Mais quand tu me parles, je te jure que je t'écoute. Je les écoute tes histoires fantastiques et tes trucs de jeux vidéos. Je comprends pas tout. Il faut que tu m’expliques bien des affaires. Tu deviens le prof un moment et moi l’élève. T’aimes ça je pense bien.

 

Avec ton crayon, un jour quand tu seras prêt, tu pourras faire la même affaire. Nous parler. T'auras même le droit de crier sur le papier si tu veux. Et puis je te jure que l'on va t’écouter. Ça peut être en slam, en rap, en éditorial, en brouillon, en pyjama, en français, en inuktitut, je vais te lire.

 

En attendant, j’ai planté un drapeau blanc. J’attends que tu viennes à moi. Je pensais que ça prendrait plus de temps. Le lendemain, tu m’as dit: “Quand est-ce que l’on écrit?’”. Avec un ton différent. Pas le ton “Quand est-ce que l’on écrit, j'ai pas hâte.” Plutôt, “Quand est-ce que l'on écrit, j’ai hâte de m'asseoir avec toi pour que tu m’écoutes”. Ensemble, on va l'écrire côte à côte cette histoire là. Nos crayons en forme de  croix comme deux épées après un combat. Sauf, que moi j’aurai toujours été dans ton équipe sans que tu t’en aperçoives.

 

Allez, prends ton crayon mon petit homme et taille-le. J’ai hâte de lire chaque mot, chaque phrase. Parce que je sais tout le courage du combattant que ça t’aura demandé. Prête-moi ton taille-crayon, je vais t’aider. Voilà, je te remets ton crayon-épée. Il a rapetissé pendant que toi tu as grandi à chaque mot que tu as écrit. C’est peut-être le début de la victoire. En tout cas, c’est le début de ton histoire.